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Autant la tradition griotique est prolixe au sujet de Soundiata, autant elle reste peu bavarde, sinon muette quand il s’agit de Kankou Moussa.

Selon le traditionniste malien Wâ Kamissoko, son histoire est racontée lors de la réfection de la case sacrée de Kangaba, qui est l’occasion pour les griots mandingues, de réciter l’histoire intégrale du Mandé, quitte à chanter et crier lors des épisodes considérés comme honteux. Le nom de l’empereur Moussa Keïta, quand il est évoqué, est couvert par la clameur et l’assistance n’entend pas ce qu’on dit de lui.

Kankou Moussa, connu également sous les noms de Kankan Moussa, Kango Moussa ou Mansa Moussa dans la littérature, est cependant pour la tradition écrite autant occidentale qu’arabe, la figure historique la plus marquante de l’histoire médiévale d’Afrique subsaharienne. Al-Umari, Ad-Dukkali, Ibn Khaldoun, et Ibn Battuta parmi les historiens arabes et les chroniqueurs de Tombouctou, Es-Saadi et Mahmoud Kati, ont consacré de longs chapitres à son règne dans leurs Tarikhs et ne tarissent pas d’éloges pour traduire leur admiration et leur reconnaissance à cet empereur qui a fait de son pays, un Etat islamique et moderne. L'Atlas catalan[1] le représente assis sur un trône et tenant dans une main, un sceptre, et dans l’autre, une grosse pépite d’or.

Qu’est ce qui explique un tel contraste dans la perception et l’appréciation d’un homme dans l’histoire ?

Un métis biologique et culturel

Kankou Moussa est le dixième roi mandingue de la dynastie des Keïta, fils et successeur d’un grand voyageur, l’empereur navigateur, Mansa Aboubakar II ou Mandé Bogori, deuxième de son nom, qui avait un harem alimenté souvent à partir du marché d’esclaves de Tombouctou, où les femmes du Maghreb, du Moyen-Orient, et même d’Europe Méditerranéenne n’étaient pas rares. Kankou Moussa était de teint clair et avait les traits fins, peut-être issu d’une de ces femmes de race blanche, Arabe, Berbère ou Européenne. Son père, qui voulait découvrir les limites de l’Océan, s’est embarqué dans un bateau et avec sa cour, certains membres de sa famille et ses guerriers, il disparut à jamais dans l’Océan en laissant son fils Moussa comme successeur, malgré les réserves des cadres traditionnels de l’Empire (griots, forgerons et autres chefs des religions traditionnelles) qui auraient préféré à sa place, un de ses demi-frères plus authentique.

Le nouveau Mandé Mansa était pétri de culture islamique et parlait couramment l’Arabe. Comme son père, il avait un harem de cent concubines dont beaucoup de Blanches. Au lieu de s’entourer de griots et d’hommes de caste comme de coutume au Mandé, sa cour était plutôt animée par des marabouts et des intellectuels arabisants. Il finit par écarter de son entourage, les descendants assermentés du griot de Soundiata, Balla Fasséké Kouyaté, et avait cessé tout commerce avec les grands prêtres du Kamablon[2] de Kangaba et de l’Oiseau de Kirina[3]. La référence de ses actions était le Coran et la tradition du Prophète. Il aimait particulièrement les constructions, et les villes de son empire étaient toutes fortifiées[4] et remplies de palais. Quoique la pierre ne fût pas absente, l’architecture de terre était prédominante. En parlant des villes de Niani[5], de Kamassiga[6] , de Tombouctou, de Gao, de Djenné, de Dia et des autres de l’époque, le Boloba[7] donne la description suivante :

                                 Villes aux grandes murailles et aux contreforts puissants

                                  Il s’agit des villes de Niani-niani et de Kamassiga

                                

L’un des traits marquants que la tradition orale a retenus de Mansa Moussa est son amour pour les femmes, dont il était d’ailleurs également très aimé. La tradition orale le décrit physiquement comme un homme :

                            Au teint clair comme un Arabe

                             Au nez proéminent comme le dos d’un affamé

                             Au cou orné de pomme d’Adam et strié de rides

                              Au tronc long surmonté d’une poitrine puissante

                             Aux attaches puissantes et fines.

 On lui attribue même des relations amoureuses avec des femmes -génies. Les cent femmes qui peuplaient son harem étaient de toutes les races et de toutes les origines, mais les belles orientales avaient sa préférence et l’une d’elles l’aurait beaucoup influencé  dans son désir de retrouver sa patrie perdue, aurait joué un rôle non négligeable dans sa décision d’accomplir le pèlerinage rituel à la Mecque.

Zuleika, capturée en Syrie par les Mamelouks, trimballée jusqu’à Tombouctou par les marchands cairotes, achetée et offerte au Mansa par le Farin[8] Sagamandian, était d’un teint blanc rosé. Une chevelure noire ondulée entourait son visage d’une belle forme ovale barrée de deux yeux noirs profonds légèrement en amande. Ce visage était souvent mouillé par de chaudes larmes provoquées par le souvenir des souks de Damas et du Caire, et surtout de son marchand de père et de leur maison située non loin de la mosquée des Beni Omaya dans le Vieux Damas.  Elle vivait à Niani, d’un ensemble d’images orientales faites de scènes de rue, de minarets et de luxe, et elle en parlait à toute oreille complaisante, et Dieu a voulu que l’oreille la plus puissance du Mandé et l’une des plus puissantes du monde de l’époque soit de celles-ci. Ses dires étaient d’ailleurs confirmés et consolidés par le témoignage d’eunuques achetés comme elle, sur le marché du Caire, d’Alexandrie ou de Damas.

La grande tradition du voyage

Voyager fait partie de la culture Mandé et l’invitation au voyage et aux échanges commerciaux est présente dans plusieurs versets du boloba[9] et autres hymnes et textes de référence du Mali.

Il en est ainsi quand les pères fondateurs, à travers la bouche de Siriman Ganda Touré[10], affirment que les frontière du Mandé arrivent partout où poussent le karité, le néré et le doka[11]. Il en est ainsi quand ils décrètent trois secteurs de développement : l’agriculture, la guerre et le commerce. Il en est ainsi dans la chanson :

                             ‘‘O marchands au long cours !

                               O Dioula du Mandé !

                                La peur de l’inconnu,

                               Jamais ne doit vous empêcher

                                D’aller de plus en plus loin’’.

Avant  Moussa, le Général Sakoura[12], un esclave affranchi des Keïta devient empereur du Mali et accomplit le pèlerinage de la Mecque en 1300. Avant ce dernier, c’était Djigui Kourouma ou Makan-Taga-Djigui, un beau jeune homme grand initié qui a prétendu être allé à la Mecque et est revenu au Mandé avec la société initiatique du koma ou komo[13], et qui est à la base de la plupart des cultes initiatiques pratiqués par les Malinké et les Bambara animistes. Encore plus symptomatique est le cas de Mansa Boubakar II ou Mandé Bogori, empereur du Mali disparu dans l’Océan Atlantique en 1312[14].

 

Le grand voyage

Un matin d’harmattan de 1323, le  convoi impérial s’ébranle de Niani la fière, la ville aux remparts inviolables.

Le voyage se fit au rythme de l’oiseau de la grande forêt[15] :

                                  Jugez-moi par le bruit de mes pas,

                                   O oiseau de la grande forêt !

                                   On perçoit aisément  les pas de l’accompagné.

                                   O oiseau de la grande forêt !

De l’Ouest, les marabouts des deux Fouta[16] avaient rejoint Niani. Les marchands Marka et Dioula  du Sahel et de la forêt avaient rallié la ville. Les Sonrhai, les Haoussa et autres peuples de l’Est n’étaient pas en reste.

Côté militaire, le Morho Naba avait envoyé un millier d’archers Mossi et Bobo pour la sécurisation du convoi. Les lanciers peuls et les gladiateurs Messoufa ouvraient la marche.

Sa  suite comprenait  ‘‘60 000 hommes, 12 000 esclaves, des hérauts vêtus de soie et porteurs de bâtons d'or s'occupant des chevaux et des sacs. Au sein de la caravane se trouvent aussi, selon certains récits, 80 dromadaires portant entre 50 et 300 livres d'or en poudre chacun. Il construit une nouvelle mosquée chaque vendredi, quelle que soit la localité où il s'arrête ce jour’’

L’étape de Tombouctou au départ fut l’occasion de la construction d’un canal reliant le port de Kabara sur le fleuve Niger à la ville, sur douze kilomètres. Les épouses de l’Empereur se plaignaient de ne pas trouver de l’eau de fleuve pour se baigner les soirs et de ne pas entendre le hennissement des hippopotames les matins. Pour les satisfaire, un canal avait été creusé séance tenante et on y avait poussé des hippopotames hennissants.

Dans l’Adrar des Iforas en plein désert, elles se plaignirent encore de la chaleur et l’on creusa une grande piscine remplie d’eau fraîche pour leur bain de midi.

En terre sainte

La traversée de l’Egypte mamelouk fut mentionnée à l’aller comme au retour, par des témoins, écrivains et historiens comme Al’Umari, Al Idrissi, Ibn Khaldoun, et plus tard par Ibn Batouta.

En Terre Sainte, l’Empereur, reçu avec la plus grande déférence par les autorités politiques et spirituelles des deux lieux saints acheta aussi bien à Médine qu’à La Mecque des cours construites comme logements pour pèlerins éventuels du Mali et du Tekrour.

El Hadj Moussa ou le retour de pèlerinage

La générosité de Moussa a des effets pervers. Son passage dans les villes du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord ruine les économies locales. L’or perd de sa valeur dans le monde entier et les prix des denrées des régions traversées sont à l’inverse, hors de portée. ‘‘Afin de rectifier le cours de l'or, Moussa emprunte à haut intérêt tout l'or qu'il peut emporter aux prêteurs du Caire. C'est la seule fois dans l'histoire qu'un homme contrôle directement le prix de l'or du bassin méditerranéen.

Un Mali intellectuellement et économiquement intégré au monde

En 1328, l’empire du Mali s’étend de l’Atlantique à Agadez et de la forêt ivoirienne à l’Adrar des Iforas en plein désert. Niani[17], Kamassiga[18], Tabou[19], Siby[20], Niènkèma[21], Djenné, Dia, Oualata, Aoudaghost[22], Gao, Tombouctou, Teghazza[23] et Tadmekka sont des villes témoins du rayonnement de l’empire et du développement conséquent de la vie urbaine.

Mansa Moussa fait construire de nombreuses mosquées et écoles à Tombouctou et à Gao. La mosquée de Djingareyber et l’université de Sankoré qui a eu 25000 étudiants inscrits à son apogée existent toujours et  sont inscrits au patrimoine de l’UNESCO. À Niani, il fait construire une salle d'audience en pierre de taille surmonté d'un dôme percé de grandes baies vitrées et décoré d'arabesques colorées. Les fenêtres de l'étage supérieur sont ornées d'argent, celles de l'étage inférieur d'or"[24]. L’essentiel de ces constructions est dû à l’architecte d’origine andalouse Abou Ishaq Es-Sahéli.

De nombreux intellectuels orientaux se  joignent au convoi impérial de retour et arrivent au Mali. Ceux-ci ouvrent et animent de nombreuses écoles et la vie religieuse. L’islamisation s’accélère et le commerce prend un essor important. Le commerce transsaharien prend de l’ampleur et il se double au sud, avec le commerce transsoudanien dioula et ‘‘la route du sel et de la kola’’ est ouverte, reliant les grandes villes du Sahel aux nouvelles cités de la savane et de la forêt. On rencontre au Mali, des commerçants de Venise, de Gênes et de Grenade, et l’Atlas catalan  qui considère Mansa Moussa comme l’un des plus grands souverains de son temps le représente sur son trône, avec une pépite d’or dans la main.  Les juifs introduisent la culture des légumes et un artisanat très raffiné. Le textile, le travail du cuir  et l’orfèvrerie se développent à Djenné, Tombouctou, Dia…

La garde impériale est formée de 300 lanciers turcs qui se marient à Niani et fondent des clans encore reconnus comme tels[25]. L’urbanisation du Soudan gagne la zone préforestière et une nouvelle ethnie naît en Afrique de l’Ouest, commerçante, musulmane et cosmopolite, l’ethnie dioula.

Le diable et l’ange

Mansa Moussa est un personnage historique parmi les plus controversés. Détesté par la tradition orale et adulé par la tradition écrite, son influence est certes parmi les plus marquantes sur son peuple. Il est celui qui a sacrifié l’authenticité à l’universalisme. Il fut le diable pour ses compatriotes attachés à la tradition. Pour eux, il avait nié ses origines et sa culture, et c’est en son temps qu’est née l’ethnie bambara ou bamana (rebelle au Seigneur), d’idéologie animiste, en réaction à l’islamisation forcenée de la société malinké. Il est celui qui a accroché son pays et son peuple à l’Islam et à la modernité. La naissance d’une troisième ethnie mandingue, celle des Dioula, commerçants et attachés à l’islam, est due à son influence. Cette ethnie est l’émanation du développement prodigieux du commerce transsoudanien, complémentaire du commerce transsaharien. L’historien qui voudrait porter un jugement sur l’apport de l’homme doit tenir compte de cet attachement à la culture universelle de l’époque, la culture arabo-islamique, qui a permis l’éclosion d’une culture pourtant authentique et universelle, dont les vestiges matériels et l’influence font la fierté de l’Afrique précoloniale.

                                                          Kalilou Téra

                                                     Université de Cocody



[1] L’Atlas catalan est une mappemonde du XIVe siècle, réalisée vers 1375 et traditionnellement attribuée à Abraham Cresques, un cartographe juif majorquin de Palma.

[2] Case sacrée contenant les reliques anciennes du Mandé, rénovée chaque sept ans au son de la musique antique et de l’histoire ancienne.

[3] Ce culte est encore vivant à Kirina, une cinquantaine de kilomètres au sud de Bamako. Il s’agit de sacrifices faits à la statue géante d’un calao, et le rappel de faits historiques essentiels.

[4] Le dernier exemple de cette architecture militaire est le tata de Sikasso détruit par les troupes coloniales françaises le 1er mai 1898.

[5] Capitale des Kamara, puis de l’Empire du Mali depuis Soundiata, ses ruines seraient sur la rive gauche du fleuve Niger, entre le Mali et la Guinée.

[6] Ville fortifiée disparue.

[7]  La geste du Mandé

[8] Gouverneur

[9]Boloba, nom malinké de l’épopée chantée de Soundiata.

[10] Marchand arabisé de l’époque Soundiata, principal instigateur de la Charte du Mandé ou Charte de Kouroukanfouga, la constitution fondatrice du Mandé, publiée par l’Harmattan.

[11] Ces trois arbres caractérisent la savane et la forêt galerie ouest-africaine, un espace qui va de l’Atlantique au Lac Tchad, et du Sahel à l’orée de la sylve ivoirienne.

[12]Sakoura empereur du Mali (1285- 1300).

[13] Société initiatique malinké bambara encore active au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée et en Sénégambie.

[14] Dans sa tentative d’élargir l’horizon des Mandenka, ce prince a équipé plusieurs navires, avec pour mission de découvrir les limites de l’Océan. Lui-même s’embarqua dans la dernière mission et on ne le revit plus.

[15] Chant de marche pendant les processions de mariage et dans les armées aujourd’hui.

[16] Fouta Toro au Sénégal-Mauritanie et Fouta Djallon en guinée.

[17] Cette métropole qui était située à la frontière entre le Mali et la Guinée a disparu et ses vestiges seraient sous les eaux du Niger.

[18] Ville mythique disparue.

[19] Village au sud de Bamako.

[20] Village au sud de Bamako

[21] Ville disparue.

[22] Ville ancienne de la Mauritanie

[23] Ancienne ville du désert du Sahara.

[24] Kanga Moussa - Wikipedia

[25] Les clans Saganogo, Diamouténé, Sosso, Haïdara, etc., se rattachent à ces immigrant orientaux.

Kankou Moussa sur l’Atlas catalan 

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