Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le patriarche Amadou Hampâté Bâ a composé une œuvre immense qui traduit la pensée humaine. Le tout s’inscrit dans les valeurs de la tradition orale africaine, dans la mesure où la dépositaire n’a tronqué ni falsifié les faits historiques. Pour atteindre ce résultat, la fidélité de la mémoire doit respecter la rigueur intellectuelle et la qualité de l’expérience acquise.

Le sage Amadou Hampâté Bâ disait à ce propos. « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Notre devoir, par conséquent, est de ne pas laisser la bibliothèque brûler, car en tant que mortels, si nous ne pouvons pas triompher de la mort, nous avons les dispositions nécessaires qui permettent de continuer la lutte pour l’émancipation culturelle de l’Afrique à partir de la voie que l’érudit nous montre. Pour parler juste et clair, quant aux exigences de la réalité auxquelles nous devons nous soumettre en vue d’accomplir notre noble mission en toute responsabilité, Amadou Hampâté Bâ ne nous a pas légué un héritage. Après avoir joué son rôle en tant qu’acteur , c’est à notre tour d’occuper la scène. C’est à notre tour de jouer. Nous devons saisir le bâton du relai. Enfourcher le cheval d’orgueil pour nous défaire de l’aliénation culturelle, source d’aliénation en un mot.

A l’épreuve de la consommation des savoirs traditionnels authentiques, nous ne devons nourrir aucun complexe. C’est en agissant de cette manière que nous remporterons la vraie victoire, celle que l’on remporte sur soi-même. A l’effet, nous disposons d’un outil essentiel par la vertu duquel nous nous projetons vers des horizons prometteurs. Il s’agit de la  Fondation Amadou Hampâté Bâ. Le fonds d’archives ou fonds documentaire représente une richesse incommensurable. Des pièces inédites, des documents authentiques à publier, des conférences à dépoussiérer, des chroniques à revisiter etc. La bibliothèque personnelle du sage de Marcory compte plus de quatre mille ouvrages. Ceci étant, ceux qui n’ont pas connu ce patriarche de son vivant et qui n’ont également pas côtoyé d’autres vieillards synonymes de bibliothèques, doivent se référer à ce que leur propose la FAHB comme source de la philosophie de l’histoire africaine, des contes didactiques, initiatiques dont le plus connu est « Kaïdara ». Le traitement de tous ces supports a commencé. Mais par manque de moyens, les conditions de conservation  sont précaires.

Bon nombre de travaux ont été exécutés, mais beaucoup restent à faire.Un appel est donc lancé aux personnes de bonne volonté, surtout sensibles à la dimension culturelle du développement, en vue de contribuer effectivement à la sauvegarde du patrimoine commun à l’Afrique, à l’humanité entière. Il nous incombe de donner une âme, une mémoire vivante à notre riche patrimoine à travers l’organisation des conférences, tables rondes, colloques ou des animations culturelles d’une autre dimension.

Cette prise de conscience évidente pourrait tuer en nous, le complexe d’infériorité que la fameuse Négritude portait aux pieds comme la chaine de la servitude.

Chers frères, ensemble, déterminons- nous à l’épreuve du temps. C’est une autre bataille à gagner. Notre engagement doit assurer la succession régulière, efficace et pertinente des générations. La résistance farouche au temps engendrera la reconnaissance de notre travail au plan universel sachant que la noblesse des actes que nous posons voire des actions que nous menons garantit à coup sûr, l’immortalité. Il nous appartient à nous, j’insiste, de forger notre destin. La vraie liberté est à ce prix, même si nous tenons compte de la réalité de sa manifestation.

Chères sœurs, chers frères, il n’est pas exagéré que d’affirmer que la fondation Amadou Hampâté Bâ est une mine d’or non encore exploitée. Ce que nous connaissons de cette fondation peut être considéré comme une facette de cette richesse que nous observons. La tâche qui nous attend est certes énorme, éprouvante, mais elle est absolument exaltante.

Amadou Hampâté Bâ a eu le désir de durée, le désir de la perfection, notamment le désir d’aimer. Le sage aimait l’Afrique, l’homme tout court. Et c’est dans le marbre de l’amour qu’il a incrusté sa vaste connaissance, fruit de son talent et de son génie en vue de mettre à la disposition de l’humanité une source potable à laquelle elle doit s’abreuver.

Amkullel (l’initié) a consacré toute sa vie à fouiller partout où se cache le savoir. Il a écouté les conseils que le laboureur donnait à ses enfants, pour inonder de bonheur, toutes les générations passées, celle présente et celle à venir. Partageons donc ensemble la nourriture sacrée et divine que nous offre la bibliothèque qui ne brûlera jamais.

A notre tour, bêchons, creusons, fouillons partout afin que la chaîne des générations ne rompe pas. C’est cela qui me fait dire que notre lutte est noble, notre devoir existant, notre tâche exaltante. Elle est t’autant plus exaltante que la source Amadou Hampâté Bâ ne trahit guère notre élan. Voici ce qu’il dit à propos de la parole, du savoir : « Une tradition négro-africaine met dans la bouche de Kaydara, le merveilleux esprit qui, à volonté, prend toute les formes sans en avoir aucune qui lui soit typiquement propre : toi qui apprécie bien la connaissance et sais qu’elle vaut plus que l’ombre, plus que le corail, qu’elle vaut même plus que l’or fin. Parce qu’elle est l’unique fortune qu’on peut entièrement donner sans en rien diminuer.Le savoir, ajoute-t-il, a un interprète. Il s’appelle la parole. Cette parole a une ombre qui s’appelle signes. Le signe que je traduis par écriture n’est pas « le savoir », mais l’ombre de l’interprète du savoir ou, pour parler un langage plus moderne, l’écriture n’est pas le savoir, mais elle est la photo de l’interprète du savoir. Le sage Amadou Hampâté Bâ continue en relevant ceci : or, si une photo permet l’identification extérieure, elle ne permet pas la connaissance intérieure. Qu’est-ce donc que la parole ? Le chantre du Komo répond : »  La parole est tout. Elle coupe, écorche. Elle modèle, module. Elle perturbe, rend fou. Elle guérit ou tue net ». Elle excite ou calme les âmes. Je me permets d’ajouter que la parole est la chose dont il est dit dans les écritures chrétiennes : au commencement était la parole et la parole était avec Dieu. Plus loin… toutes choses ont été faites par elle et rien de ce qui a été fait n’a été fait par elle » pour que les vertus de la parole s’appliquent harmonieusement, avec une efficacité certaine, il faut savoir la dégainer. Ecoutons Amadou Hampâté Bâ : « s’agissant de la fonction de la parole et de la place dans la genèse, les traditionalistes attirent l’attention sur trois de ses caractéristiques essentielles :

1-     La parole ne doit pas s’exprimer avant le moment opportun ;

2-     La parole doit être exprimée au moment opportun ;

3-     La parole ne doit jamais être exprimée avant le moment opportun. Ceci prouve que la parole est exacte. Elle demande à ce qu’on soit exact avec elle. Cette exactitude est l’un des fondements essentiels de l’harmonie qui régit l’univers. La parole a un côté qui l’apparente au feu. De sa petite quantité peuvent naître de graves perturbations, comme d’un brin d’allumette peut sortir un incendie qui détruit un village.

L’initié peul appelle la parole " haala". Ce non est tiré de la racine "hal", idée de donner la force. On appelle Kalhadi, celui qui a la force, qui a droit à la parole et sait parler. Ainsi, dans le troupeau, le gros bœuf qui sait mugir plus que les autres est "kalhadi"… Par extension, toute personne ou animal qui se distingue par des qualités exceptionnelles est un "kalhadi". Amadou Hampâté Bâ va plus loin dans les fonctions de la parole. « en bambara, enseigne-t-il, la parole s’appelle "Kuma", de la racine "kun" qui signifie tête et de la terminaison « Ma » qui est un mot magique qui signifie à la fois : mère, homme, roi.

Le chantre du komo dit dans ses chants que la parole est le puissant attribut du savoir et du pouvoir. Elle fait de l’humain, un être supérieur. « Ma » signifiant mère symbolise l’être le plus sacré en tant que source de vie et objet d’affection profonde. "Ma" signifiant l’être humain, symbolise l’état supérieur dans la création. "Ma"signifiant roi, symbolise la force, la crainte, deux autres formes de force. Kayadara à son tour divise la parole en trois parties : "giyalé", os qui correspond au mot et symbolise le son. "Indé", qui est le nom arcane du mystère "Gollé", le verbe qui symbolise l’action. Ainsi, c’est toujours la symbolique du ternaire par lequel, les initiés des rives du Niger ce jumeau lointain du Nil, ont participé dès l’aube des temps, au grand mystère de la création. C’est également dans ce symbolisme que la parole s’est incarnée dans le trois animaux : "Ma" représenté par un silure ; "Sa" représenté par un serpent ; "Wa" représenté par un oiseau. Ces trois noms unis forment un mot magnifique "Masawa" qui servait de mot de passe. « J’ai dit à l’UNESCO, note Amadou Hampâté Bâ, qu’il est indispensable et urgent de sauver cette richesse. En relançant cet appel à l’occasion du premier festival mondial des Arts Nègre, nous espérons qu’il sera entendu. »

Nous avons encore présent à la mémoire, l’effort colossal qui a été de défier le temps, or, des menaces beaucoup plus grandes pèsent sur la tradition orale qui risque de s’éteindre par la disparition de ses chaînes authentiques de transmission.  Nous répétons encore que chaque vieillard traditionaliste qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Avec quelques millions, on peut actuellement sauver ce grand patrimoine culturel universel, alors que dans vingt ans, on ne pourra plus le faire, même si on y consacrait tous les milliards de la terre et tous les savants du monde »

Ce que l’érudit disait il y a plus de vingt ans se vérifie aujourd’hui. Son inquiétude n’a pas été satisfaite.

Amadou Hampâté Bâ avait déjà la certitude que pour qu’une communauté humaine donnée puisse s’épanouir, il faut qu’elle grandisse par la tête, en prenant en considération, les vertus des arts et de la culture. De sa bouche, a jailli cette parole que je rappelle au moment opportun pour éviter d’écorcher la loi sacrée qui en régit l’utilisation.

« Oublions le mal, gardons le bien et l’Afrique ira de l’avant et prouvera qu’elle est analphabète certes, mais elle n’est pas ignorante. Elle est brune, mais elle n’est ni obscure ni haineuse. Elle est sage ». Le sage a parlé.

                                                                         Rokya Hampaté Bâ

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :