Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Iº  Sa légende

 

            La légende de la Reine Pokou s’appuie sur le mythe comme porteur de sens, passeur de sagesse où le symbole si important en Afrique nomme ce qui ne se voit pas.  Véronique Tadjo évoque rapidement l’histoire personnelle de Pokou pour s’attacher surtout à ce qu’elle va incarner. Sa légende va purifier, clarifier et Véronique Tadjo nous familiarise avec ce personnage qui s’impose par une lente assimilation où la réflexion et l’inspiration finissent par ne plus se distinguer de la vie intérieure, de ses angoisses. Le passé revisité retrouvera sens et profondeur au terme de cette incorporation quand il est devenu « mémoire vécue ».

            L’auteur évoque d’abord sa relation intime avec la Reine Pokou, la Madone noire, l’héroïne- amazone de son enfance. Personnage énigmatique, elle est enveloppée de tous les mystères accordés par la tradition. Le regard aiguisé de l’écrivain averti révèle les signes prometteurs d’un grand destin : les effets du vent sur les cheveux de l’enfant qui poussèrent « comme de la mauvaise herbe ». Ses jeux révélateurs d’une nature androgyne =la femme puissante, est une femme- mâle qui a du mal à enfanter. Enfin, elle  passe par une initiation haute, telle celle qui se transmet à une élue digne du secret par un membre autorisé de la famille, sa grand-mère dont elle reçut la connaissance de sa généalogie et surtout un art de vie à l’écoute de la nature.

Son hérédité, nièce d’un grand roi Oséi Tutu, sœur d’un autre roi qui la consultait, Dakon. Elle connut aussi les revers du pouvoir qui lui imposèrent l’exil, un autre signe de prédestination.

Véronique Tadjo insiste alors sur son abnégation : abandon de son pays, de son mari, de sa famille pour préserver sa sécurité. Un long exode s’ensuit avec tous les doutes, les accusations mais la conteuse privilégie sa ténacité, son obéissance au verdict du devin et elle clôt la légende en chantant la gloire d’une « femme hors du commun », prête à régner. Comme tous les « Grands Vivants », elle est présentée seule sans compagnon véritable, sans enfant de son sang parce que la vie intérieure, le secret spirituel ne  sont pas partageables. Sa solitude est son propre accomplissement.

Tous les ingrédients de la légende sont rassemblés pour que l’écrivain puisse intervenir. Elle en a d’abord retenu l’héroïne de « l’ose » sans garde-fous.

Comment la quête d’hier éclaire la quête d’aujourd’hui, source permanente d’interrogation. Mais au cours de cette première évocation, la reine Pokou n’est pas présentée comme un modèle exemplaire, l’écrivain nous a laissé suffisamment de flou, d’espaces pour lui permettre de s’infiltrer par approches successives, pour laisser une parole contemporaine s’exprimer. Le texte est un « textile » qu’il faut habiller, parer, un texte  « nu » qui recevra des retouches de génération en génération. L’histoire s’arrête à la fin de la traversée, comme une tragédie qui finit bien, sans allusion à ce qui pourrait être son destin de reine.

 

II° Le poids du sacrifice vécu comme un didiga bété.

 

Véronique Tadjo insiste sur un sacrifice qu’elle considère comme impensable selon le concept bété du didiga. Mais elle insiste sur la douleur insupportable pour susciter les interrogations. Un de ces choix aussi que la tradition africaine évoque quand il s’agit d’obtenir le pouvoir, le succès en offrant en holocauste un être cher. Ba-ou-li, l’enfant est mort devient le refrain lancinant qui insiste sur la création d’un royaume, érigé sur la mort d’un enfant.

Des questions martèlent le texte, « Et le peuple que dit-il ? » « A quelle divinité faisaient-ils un tel sacrifice ? «  A qui offraient-ils la mort de l’enfant », « Et où étaient donc les dieux miséricordieux d’Afrique ? » (p. 36). « Et si Abraha Pokou avait refusé le sacrifice ? » p. 53

L’auteure de notre époque pourrait ne pas accepter une telle légende si éloignée des droits de l’homme et pourrait douter de la véracité de ces atrocités. Ou se fait-elle l’avocate d’une femme que tout prédestinait à la gloire et peut-être au pouvoir ?

Son premier sacrifice fut l’exode qui tirait un trait sur son passé. Heure cruciale du choix, seuls les grands hommes savent choisir. Et son choix, c’est partir et c’est la mort. Elle quitte la mort à la cour, pour la retrouver sur la route de la fuite jusqu’à l’ultime sacrifice de l’enfant.

Cette femme riche de tous les cadeaux de la terre, tous résumés en cet enfant ! Véronique Tadjo  sacralise cette histoire, l’entoure d’un aura de bénédiction : bénie par les dieux, bénie par le peuple reconnaissant. Personnage lumineux, difficile à contredire.

L’interrogation se porte sur l’évocation d’un possible sacrifice rituel, mais n’appelle-t-on pas acte de sorcellerie, tout comportement mystérieux et incompréhensible ?

Porteuse de tous les morts (maris, famille, enfant), elle répond à une sagesse antique que sa grand-mère n’a pas eu le temps de lui révéler mais que la vie se charge de l’édifier :

Il ne peut y avoir d’existence  si quelque chose ne s’est pas sacrifiée pour que cette existence soit possible. Il ne peut-y avoir d’évolution que parce qu’il y a eu d’abord involution. Important pour poursuivre un chemin ascendant. Tout périclite si la vie n’est pas fondée sur la conscience du sacrifice, de l’abnégation, de l’amour.

Abla Pokou a donné à la Terre pour l’embellir, afin qu’elle vibre avec le Ciel. Elle a donné le meilleur d’elle-même pour renaître à une nouvelle vie.

Et le didiga insoutenable ne s’exprime que pour agir sur la conscience et permettre de poser un regard troisième sur sa vie. Véronique Tadjo n’encense pas le sacrifice, ni ne se délecte de sa cruauté, mais elle nous interpelle.

Dans cet ultime questionnement à propos du sacrifice, Pokou en refusant le sacrifice condamne son peuple et ses alliés à la mort.

 Mais n’oublions pas que le mythe n’est pas d’ordre moral, il est initiatique, il a pour sens d’éveiller à une surconscience. Si Pokou dérange, transgresse, n’est ce pas par amour pour son peuple ?

 

III° La femme de désir

 

Comme tous les héros des gestes antiques, Pokou n’accepte pas l’échec et ne recule pas devant les épreuves. Refusant de courber l’échine, dirigeant ses pensées vers un idéal, elle est mue par l’espoir de donner une direction à sa vie.

Véronique Tadjo s’approprie cette reine éblouissante d’amour et de force pour en faire une icône. Elle reflète désormais le monde de l’esprit. Pas d’envie de pouvoir, mais de partir, choix difficile, au risque d’errer par des chemins d’ombre.

Sa quête commencée sur terre, se poursuit dans les eaux, pour « faire » du chemin en même temps qu’elle le suit. Elle a osé la marche, la mise en route, la sortie de son quotidien.

Certaine initiations traditionnelles passent par l’eau, rite essentiel de purification, baptême pour une renaissance. Et Pokou, toujours portée par une quête, à la recherche de son enfant c'est-à-dire sa propre identité, se lavera de tous les crimes, afin de retrouver la patrie ancestrale d’elle-même.

Véronique Tadjo revitalise le mythe en insistant sur ce personnage hors du commun, première reine d’un nouveau peuple, les Baoulé qui ne se construiront qu’à partir d’une mort, source de vie. Elle est consciente en creux de l’importance de la fondation et de la justification d’un monde. Et Ancêtre  devenue, Pokou devra inspirer, incarner des valeurs perdues.

 

IV° La libération des peurs actuelles

 

La tradition orale a des interprétations multiples et aucun mythe ne se prendra dans son sens littéral. Etant une histoire non historique, le mythe interrogé a tous les droits. Véronique Tadjo a compris que l’histoire personnelle de Pokou n’est qu’un épiphénomène. Pour perpétuer la tradition, elle fait appel aux forces vives, à la spontanéité, avec le cœur, qui la place au cœur d’un débat actuel.

Comment ne pas revenir dans l’exploitation d’un tel mythe à la situation ivoirienne ? Comment exorciser sa peur et réinventer le pouvoir criminel ? Pour trouver une vérité, il ne s’agit pas de rester attaché à ce qui se présente à nos yeux mais se déplacer et changer de point de vue, abandonner les apparences. Plus on s’élève dans le monde subjectif qui est le monde spirituel, plus le regard s’éclaircit et plus il s’informe. Et pourquoi pas réenchanter le monde de l’enfance, ce retour à un nouveau conte qui prend le relais d’une légende qui agit en nous comme des prismes déformants ?

Un autre exil dans les profondeurs de l’océan affine une initiation qui devrait « préparer » la Reine à son destin. Pour le peuple ignorant, il s’agirait de contrer le refus de pardonner.

Que dire de la mamywata qu’elle est devenue : personnage mystérieux, capable de posséder, d’ensorceler ceux qui se laissent prendre à ses charmes. Là encore l’idéal prend la couleur de la destruction. La femme étrange dévore l’homme séduit. Et la femme égoïstement repliée sur son amour maternel, condamne à mort ses deux fils,  restant seule vouée à l’esclavage.

Cette version pessimiste renvoie à ces affreusetés actuelles, à un pays au bord du gouffre. Véronique Tadjo  accepterait l’idée du sacrifice d’Abla Pokou pour son peuple et non pour servir ses intérêts. Elle pouvait ainsi mériter le trône cousu de liberté. Il ne lui reste plus que l’ultime étape de la réconciliation avec son fils symbolisée par la statuette à son effigie. Réconciliation avec elle-même afin de retrouver son peuple.

Véronique Tadjo insistera une dernière fois sur la volonté intransigeante d’Abraha Pokou. : son enfant appartient au peuple et elle l’offrira aux Dieux, « prix à payer pour devenir reine » p. 80. Le pouvoir assassine son bonheur de femme mais grandit quand on devient serviteur.

Dure méditation sur le pouvoir qui exige tout, plus d’attache tandis que son autorité éliminera tout ce qui peut l’ébranler. Le pouvoir transforme.

 Comment vivre cette légende pour en tirer une leçon aujourd’hui ?

C’est là que Véronique Tadjo reprend ses interrogations comme pour taire ses peurs actuelles et favoriser la réflexion en optant pour une présentation symbolique du drame. Symbole du fleuve et de l’enfant, offert à un monarque assoiffé de sang et en même temps acceptant un pacte de paix signé avec les hippopotames formant un pont.

 Les initiés, selon la tradition, ont les clefs de toutes ces interprétations. Mais l’homme n’-a-t-il pas en lui toutes les traductions ? Il devra éviter une interprétation littérale comme un simple écolier est appelé à la restituer avec tous les contresens qu’un enfant-soldat ou un autocrate pourrait dangereusement s’approprier.

La mission de l’écrivain serait donc de stimuler notre imagination, de nous donner des pistes pour nous investir dans ce mythe. V. Tadjo laisse parler sa fibre poétique pour faire de cette tragédie une ode à la beauté et à la liberté. IL est bien loin Icare et ses ailes brûlées ; l’enfant-oiseau symbolise ce peuple métamorphosé, armé de tout ce qui l’aidera à vaincre la bête. C’est la nature, la quintessence des manifestations de l’animal,  les hippopotames formant un pont, c’est l’oiseau touchant le ciel, qui seuls comptent. La tragédie n’est plus une punition, un coup fatal du destin mais un défi. La douleur transformée en action, sera un acte créateur de vie.

La profondeur de la tradition ne se révèlera qu’en fonction de la qualité du Connaissant et de ses transformations intérieures. Elle ne véhiculera plus un message qui appartient au passé mais une « Présence » qui se révèlera peu à peu et transfigurera le présent.

 Pokou en s’extrayant du monde de l’exil, se verticalisera dans la totalité de son être. Si Véronique Tadjo ne l’évoque pas dans son règne, c’est que le lecteur a tous les éléments pour imaginer son évolution après les épreuves formatrices. On ne pourra plus tuer, on transforme, on éduque, on éclaire. Le mythe est devenu un langage qui permet d’approcher les Mystères (mystère de la vie et de la mort, de l’existence humaine, de l’amour, de la douleur, de l’au-delà). C’est un passeur, un guide qui indique le chemin avec ses impasses, ses pièges.

V. Tadjo commente, habille le mythe pour que nos racines spirituelles et culturelles ne se dessèchent pas, afin de revenir à la source jaillissante et bouillonnante de la tradition.

La Reine Pokou est parmi nous, elle scande notre  quotidien et nous conduit vers un ailleurs parce qu’elle ouvre des portes, notre cœur et notre regard et nous offre l’initiation à la vie.

 Femme solitaire et royale, figure souveraine et puissante de l’initiée, elle continue de proposer un chemin de lumière à qui laisse ses peurs, ses habitudes, ses fausses croyances.

 

                                                                       Marie-José Hourantier

                                             

                                                                       Ecole Normale Supérieure d’Abidjan

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :